Plus de chromosomes pour plus de fun !

Quel résultat pourrait-on obtenir en doublant le stock de chromosomes d’une plante ?

Techniquement, c’est possible. C’est d’ailleurs une pratique courante dans le cadre de la production de plantes haploïdes doublées (voir billets Dans le secret des labos 1 et 2). Mais d’autres applications existent.

La polyploïdie consiste en la présence d’au moins trois jeux de chromosomes complets au sein des cellules d’un individu. Dans la nature, un certain nombre d’espèces sont des polyploïdes (autopolyploïdes ou allopolyploïdes).

Cependant, ce qui nous intéresse dans ce billet est l’utilisation volontaire de la polyploïdisation à des fins d’innovation variétale.

 

Des manifestations variées du passage à l’état polyploïde

Dans un article de synthèse, Dhooghe et ses collègues passent en revue toutes les améliorations qui ont pu être obtenues par polyploïdisation chez des espèces cultivées. De nombreux exemples concernent des plantes ornementales, faciles à multiplier végétativement. Les caractères modifiés peuvent être des feuilles plus épaisses ou plus vertes ; des fleurs plus grosses ou avec davantage de pétales ; un port modifié, voire plus compact ; des fruits plus gros ou avec plus de chair. L’augmentation de la biomasse ou de la teneur en composés d’intérêt chez des plantes aromatiques ou médicinales a également pu être obtenue chez certaines espèces.

 

 

Cependant, des améliorations ont aussi été constatées sur des caractères plus complexes que des modifications morphologiques. Un certain nombre de cas de meilleure résistance aux stress, notamment hydrique, ont été décrits. La morphologie des feuilles, épiderme et parenchyme plus épais, pilosité plus dense etc, peuvent notamment expliquer cette meilleure adaptation.

Et des techniques tout aussi variées…

L’induction de la polyploïdisation nécessite en général l’utilisation de molécules chimiques qui perturbent la division cellulaire. Les microtubules responsables de la séparation des chromosomes lors de la mitose sont perturbés, ce qui aboutit au maintien dans la cellule de deux stocks de chromosomes. Les molécules les plus utilisées sont la colchicine et l’oryzaline. Elles sont toxiques et doivent être utilisées avec de grandes précautions.

Il existe des modes d’application très variés : sur bourgeons, sur racines, in vivo ou in vitro.

Les doses et les durées d’exposition doivent être déterminées en fonction de l’espèce végétale et des tissus traités.

Parfois, certains protocoles de clonage par culture in vitro aboutissent également à la production de polyploïdes, sans agents doublant et probablement sous l’effet de doses d’hormones un peu élevées.

 

 

Deux difficultés majeures peuvent survenir lorsqu’on utilise cette approche. L’efficacité du doublement chromosomique est parfois très faible et difficile à répéter. Mais c’est surtout l’obtention de plantes en chimères qui peut provoquer une difficulté à maintenir le caractère polyploïde. Si une partie seulement de l’explant traité est devenue polyploïde, cela peut conduire à une plante dont les tissus ne sont pas tous de même niveau de ploïdie. Il est alors nécessaire de réaliser un travail de stabilisation du caractère (passage par une phase d’autofécondation ou isolement par clonage de la partie effectivement polyploïde). Ceci arrive notamment lorsque des explants de grande taille ont été utilisés.

Si une mise au point technique est nécessaire, celle-ci n’est pas très compliquée. Ensuite, la stratégie de polyploïdisation constitue une voie alternative pour créer de la diversité phénotypique, qui peut réserver des surprises au sélectionneur…

Référence bibliographique :
E. Dhooghe, K. Van Laere, T. Eeckhaut, L. Leus, J. Van Huylenbroeck, 2011. Mitotic chromosome doubling of plant tissues in vitro. Plant Cell Tiss Organ Cult 104 :359-373

Crédits Photos : flower 14 : © chrisharvey – Fotolia.com ; Chromosomes : © Maxim Boldyrev – Fotolia.com ; цветок : © avevori – Fotolia.com
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Ce billet a été rédigé par Manuelle Bodin
C’est avec plus de 15 ans d’expérience dans le développement d’outils de biologie cellulaire pour les sélectionneurs que Manuelle, grâce à son équipe, met en place des solutions techniques adaptées à chaque espèce végétale.