L’hybridation entre espèces : pas si simple !

 Certains courants de pensée actuels accusent les « hybrides » de tous les maux, et notamment de stérilité, mais le mécanisme d’hybridation joue un grand rôle dans l’évolution des espèces. Si la fraise, le colza ou le blé sont des exemples d’hybrides interspécifiques apparus spontanément, de nombreux autres hybrides intra ou interspécifiques ont été créés par l’homme, depuis le dix-huitième siècle.

Dans ce billet, je vais vous parler plus spécifiquement d’hybridation interspécifique. Celle-ci permet d’augmenter la diversité génétique de l’espèce cultivée soit par la création de nouvelles espèces végétales (ce qui est moins courant, mais parfois amusant), soit par l’introgression de gènes d’intérêt : résistances aux maladies ou au froid, systèmes de stérilité mâle etc. (voir le livre de Claire Doré et co-auteurs pour des exemples).

Mais comment cela se passe-t-il ? La définition d’une espèce ne dépend-elle pas justement des barrières à l’hybridation avec d’autres espèces existantes ? Ces questions ont intéressé très tôt les botanistes et les sélectionneurs. Une revue de 1954 de Dillemann, pharmacien français, en passe déjà en revue les questionnements et les solutions.

En réalité, tous les degrés de compatibilité du croisement entre espèces différentes peuvent être observés… ou plutôt, une grande variabilité d’obstacles à cette hybridation existe ! Ceux-ci sont classés en deux catégories, avec des solutions différentes.

Les barrières pré-zygotiques sont tous les mécanismes qui préviennent la fécondation.

Pour obtenir des hybrides en conditions expérimentales, la première étape sera de faire concorder les floraisons des deux partenaires choisis afin de pouvoir réaliser l’hybridation. Ceci nécessite d’avoir accès aux ressources génétiques et de maîtriser les conditions de culture et d’induction de la floraison des espèces.

Germination de pollen

Germination des grains de pollen sur le stigmate observée au microscope à fluorescence

La deuxième difficulté sera de surmonter les barrières à la fécondation : incompatibilité pollinique ou difficulté de croissance des tubes polliniques. L’observation de la germination in situ du pollen permet d’identifier le point de blocage et éventuellement y trouver une parade. On peut ainsi modifier les conditions de pollinisation (la chaleur peut lever certaines incompatibilités), utiliser du pollen mentor, permettant la germination du pollen interspécifique, ou raccourcir le style pour permettre au pollen d’atteindre plus vite l’ovaire.

Les barrières post-zygotiques interviennent après la fécondation.

Embryon immature

Embryon immature cultivé in vitro

La première est la mortalité précoce de l’embryon, liée à une absence d’albumen ou à une incompatibilité avec celui-ci. S’il s’est suffisamment développé, le sauvetage de l’embryon immature par culture in vitro lui permettra de passer cette phase critique.

Une fois la germination de l’hybride obtenue, in vitro ou classiquement, des problèmes physiologiques peuvent apparaître tels qu’une très faible vigueur ou de l’albinisme liés à des combinaisons de gènes défavorables.

Sur des plantes ayant un développement normal, différents degrés de stérilité peuvent également être constatés. Ceux-ci sont en général liés à des différences de nombres chromosomiques des deux parents, aboutissant à des perturbations de la méiose. Ce problème a plusieurs solutions possibles : exploiter au mieux la faible fertilité par des rétro-croisements, jouer sur les niveaux de ploïdie des parents si les nombres chromosomiques de base sont les mêmes, ou doubler le stock chromosomique de l’hybride, qui deviendra alors fertile. Une base de données collaborative (The Chromosome Counts Database) est accessible sur internet pour permettre de se renseigner sur les nombres de chromosomes de chaque espèce.

Pour complexifier les choses, les hybrideurs ont constaté qu’une hybridation peut réussir suite au croisement dans un sens de pollinisation et non dans l’autre ou avec certains individus d’une espèce, mais échouer avec d’autres.

Pour résumer, afin de mettre toutes les chances de son coté, il faut : diversifier les partenaires d’hybridation, répéter les croisements dans diverses conditions et produire, si possible, de nombreux petits, à doubler ou non !

 

Référence :

Doré C., Varoquaux F.,  2007. Histoire et amélioration de cinquante espèces cultivées.

Crédits photos :

Image à la une : Citron Sanguin :  Creative Commons Attribution 3.0 Unported - Attribution: CSIRO
Hybride de pêche et d'abricot : Ibrido tra albicocca e pesca - © fabiosa_93 - Fotolia
Germination de pollen : Vegenov
Embryon immature : Vegenov
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Ce billet a été rédigé par Manuelle Bodin
C’est avec plus de 15 ans d’expérience dans le développement d’outils de biologie cellulaire pour les sélectionneurs que Manuelle, grâce à son équipe, met en place des solutions techniques adaptées à chaque espèce végétale.