Défense des plantes : les exsudats racinaires, un arsenal caché
Ancrage dans le sol et nutrition sont loin d’être les seules fonctions des racines ! Longtemps ignorés, les mécanismes de défense mis en place par ces organes, notamment au niveau de la coiffe, suscitent depuis une dizaine d’années de nombreuses études. Des chercheurs de l’Université de Zurich ont fait le point sur les avancées dans ce domaine (Baetz U. et Martinoia E. (2013)). Revenons sur ce qu’ils présentent.
Une défense à plusieurs niveaux
Avant même d’avoir subi un stress biotique, la plante sécrète des composés de faible poids moléculaire, les phytoanticipines qui agissent comme une barrière chimique contre une large gamme d’agresseurs (bactéries, insectes, nématodes, champignons).
Lorsque la plante est attaquée, elle va renforcer ses défenses en augmentant la production de phytoanticipines et en synthétisant d’autres composés antimicrobiens de faible poids moléculaire baptisés les phytoalexines.
Parmi les exsudats de défense, les composés phénoliques et les terpénoïdes, notamment, ont des capacités antibactériennes et antifongiques élevées. Il a été découvert récemment que certains composés organiques volatiles libérés par les racines concourent aux mécanismes de défense. Par exemple, le monoterpène 1,8-cinéole est relâché par les racines d’Arabidopsis si ces dernières sont attaquées (Steeghs et al., 2004 ; Rookes et al., 2008).
L’extrémité racinaire : une zone sous haute protection
L’extrémité des racines joue un rôle crucial dans la survie et le bon développement de la plante, en particulier car elle renferme un méristème permettant la croissance racinaire. De plus, cette zone est vulnérable, puisque les vaisseaux conducteurs n’y sont pas encore matures (notamment non lignifiés) et donc plus « perméables » à des pathogènes vasculaires qui peuvent se servir de cette porte d’entrée pour coloniser le reste de la plante. Cette dernière a donc mis en place différents mécanismes pour protéger cette zone.
Une couche de cellules a un rôle particulièrement important dans la défense de cette zone : les cellules bordantes. Elles forment un « tissu » à part entière comprenant des cellules isolées les unes des autres et incluses dans un épais mucilage. En plus d’être une protection mécanique, elles interviennent de façon active dans la défense contre les stress biotiques.
Issues de la desquamation de la coiffe, ces cellules subissent une modification importante dans l’expression de leurs gènes et se mettent à sécréter des composés répulsifs, inhibiteurs ou biocides.
Certains exsudats ont ainsi pour rôle de repousser les agresseurs et les maintenir à distance. D’autres, au contraire attirent l’agent pathogène qui pénètre la couche des cellules bordantes. Il est alors piégé par le maillage épais du mucilage formé de composés polysaccharidiques et d’ADN extracellulaire sécrétés par les cellules de la coiffe et les cellules bordantes. Des enzymes et des métabolites secondaires antimicrobiens, tels que des glucosidases chez le pois, se chargent alors de le détruire.
Les transporteurs membranaires : un rôle pivot
Traditionnellement, l’exsudation racinaire était supposée être un processus passif. De récentes études ont mis à jour le rôle pivot des procédés de transport actif primaires et secondaires à travers les membranes plasmiques des cellules racinaires pour l’excrétion de composés phytochimiques de défense dans la rhizosphère.
Deux familles de protéines impliquées dans le transport, les protéines MATE (multidrug and toxic compound extrusion) et les transporteurs à ATP Binding Cassette (ABC), ont particulièrement attiré l’attention (Hawes et al., 2011 ; Kang et al., 2011). En général, la sécrétion d’un composé phytochimique dans la rhizosphère peut être régulé génétiquement et biochimiquement par différents facteurs tels que par exemple l’abondance des transporteurs, la disponibilité et les spécificités du substrat, ou encore les effets pléiotropiques induits par les transporteurs ABC.
Cependant, il existe un grand nombre de transporteurs qui n’ont pas encore été caractérisés et qui participeraient au système de défense souterrain.
Modification des exsudats racinaires, un impact non négligeable sur la rhizosphère
Une meilleure compréhension des mécanismes d’exsudation racinaire de défense est importante pour élargir à terme les moyens de protection des cultures.
Certains stimulateurs des défenses des plantes, notamment, permettent de déclencher la sécrétion d’exsudats racinaires de défense et font aujourd’hui partie des moyens de lutte en développement.
Cependant, l’impact potentiellement important au niveau écologique et environnemental causé par des changements mineurs dans la composition de l’exsudation racinaire doit être étudié avec soin pour éviter les répercussions négatives possibles sur les organismes telluriques non-visés et potentiellement bénéfiques pour la plante.
Baetz U. et Martinoia E. (2013) Root exudates: the hidden part of plant defense. Trends in Plant Science. 10(1120): 1-9
Crédits photos : Tree in earth and it’s roots: © Iosif Szasz-Fabian – Fotolia.com ; Handful of soil: © Potographee.eu – Fotolia.com