Exposition aux produits phytosanitaires : quelles conséquences pour la santé ?
Telle fut la question posée lors du colloque organisé le 14 mars à Rennes par l’AAF (Académie d’Agriculture de France), l’IRSET (Institut de recherche en santé environnement et travail) et l’EHESP (Ecole des hautes études en santé publique). A l’heure actuelle, cette interrogation inquiète de nombreux concitoyens. Largement relayé par les média, le débat mérite d’être éclairé par des données scientifiques et réglementaires acquises. Points de vigilance, difficulté à mettre en place des indicateurs efficaces mais aussi points rassurants, les différentes présentations ont dressé un état des lieux de cette problématique. Revenons sur les principaux points évoqués au cours de cette journée !
Une préoccupation des citoyens et des services de l’Etat
Les citoyens français se préoccupent de plus en plus des risques sanitaires liés à l’utilisation de produits phytosanitaires en agriculture. Cette préoccupation se traduit par des manifestations d’associations de défense des victimes des pesticides, l’augmentation de l’attrait pour les produits issus de l’agriculture biologique…
Ces questions sur l’exposition et ses conséquences sur la santé humaine doivent être abordées. Des données scientifiques sont cependant nécessaires pour faire le lien entre l’exposition et les répercussions sur la santé. Les résultats des différentes études menées doivent conduire à faire évoluer l’agriculture vers un mode de production qui puisse satisfaire les besoins alimentaires tout en garantissant la sécurité alimentaire.
Ces préoccupations sont aussi celles des services de l’Etat qui le montrent en finançant :
- Des études d’impacts des pratiques sur la contamination environnementale des eaux, de l’air et du sol, bilan des pratiques d’utilisation des phytosanitaires et de leurs évolutions en France (INRA) ;
- Un dispositif de pharmaco-vigilance (ANSES) basé sur l’étude des comportements alimentaires de la population française et la surveillance des résidus de pesticides dans les denrées alimentaires ;
- Des études épidémiologiques, réalisées par l’INSERM, de l’effet des pesticides sur la santé humaine.
Des points de vigilance
Des études variées ont été présentées. Elles mettent en exergue certains points de vigilance vis-à-vis des pesticides :
Premier constat de l’ANSES : peu de données existent dans la littérature en matière d’exposition, et elles sont difficiles d’accès pour le public.
L. Guichard, de l’INRA indique que ces quarante dernières années les pratiques agricoles ont changé : le travail du sol (labour) a diminué, et inversement, l’utilisation d’herbicides a augmenté. Ce qui s’explique par le faible coût de ces traitements par rapport aux travaux mécaniques. La diversité des cultures représentées sur le territoire diminue également : augmentation des surfaces de blé et colza au détriment de celles de pois et tournesol, moins ou peu rentables économiquement. Les rotations sont aussi moins longues ce qui contribue à augmenter la pression des parasites et maladies et donc à augmenter l’utilisation des pesticides.
Un autre exemple donné par C. Bedos de l’Inra : lors d’une pulvérisation les pertes de produits sont importantes : en début de culture, 30 à 40% en moyenne des volumes pulvérisés sont dispersés dans l’air et 40% au sol. C’est-à-dire que seuls 20 à 30 % de produits atteignent leur cible !
Des études de l’INSERM présentées par C. Chevrier sur les niveaux d’imprégnation biologique des femmes enceintes indiquent que la rémanence de certains produits phytosanitaires est très longue et que les modes de contaminations sont variés (usages domestiques, proximité avec des parcelles agricoles, alimentation…) ce qui rend leur étude complexe.
Des indicateurs difficiles à mettre en œuvre
Les réglementations française et européenne sur l’utilisation des produits phytosanitaires évoluent et prennent en compte un nombre important de facteurs préjudiciables à la santé et à l’environnement. Cependant, du fait de la complexité des produits, tous les paramètres ne sont pris en compte : mélanges de matières actives, effet des adjuvants, accumulation de produits différents dans le corps, exposition aux faibles doses (par l’alimentation)…
Des plans sont menés en France comme le plan Ecophyto dont l’objectif est de réduire l’utilisation des phytosanitaires, mais les indicateurs retenus évaluent les volumes de produits utilisés, pas le risque pour l’applicateur, la population et l’environnement. Ces indicateurs sont difficiles à développer et mettre en œuvre.
A ce jour, le bilan du plan Ecophyto est assez décevant puisque les ventes des produits phytosanitaires ou les utilisations déclarées ont tendance à augmenter depuis une vingtaine d’années.
Des données rassurantes
La prise de conscience commence cependant à payer, certaines données sont rassurantes :
La très grande partie des eaux de consommation sont conformes aux limites fixées par la loi. Les points de collectes d’eau dépassant de façon régulière ces limites sont devenus très minoritaires (3%), a indiqué C. Bedos de l’INRA.
Selon les analyses faites au niveau de l’UE en fruits/ légumes / céréales, 57% des denrées n’ont aucun résidu décelable ; 39% ont des résidus inférieurs aux LMR ; 3,5% des denrées sont non conformes : au-dessus des LMR ou présence de molécules non homologuées.
Les produits les plus toxiques et rémanents sont retirés (même si des effets sont encore visibles longtemps après leur utilisation) et remplacés par des molécules moins dangereuses pour la santé et l’environnement.
Les progrès technologiques contribuent à une diminution des pertes de produits phytosanitaires lors des traitements et à une utilisation plus ciblée. Ainsi, la protection intégrée se développe, à l’image des recherches menées par ARVALIS et présentées par N. Verjux. Elle combine l’utilisation de plusieurs stratégies : variétés résistantes, conduite culturale, outils de prévision des risques, biocontrôle, pour permettre une protection des plantes plus respectueuse de l’environnement et de la santé humaine.
Des risques liés aux pesticides agricoles, mais pas que !
De façon générale, si les citoyens sont plutôt conscients que les produits phytosanitaires agricoles ne sont pas anodins pour la santé, il y a une réelle méconnaissance des risques liés à l’exposition de pesticides, en particulier d’insecticides, dans le cadre privé : anti moustique, anti poux, traitement des charpentes … ! Les organophosphorés utilisés en cultures légumières sont aussi très présents dans les usages domestiques et sont retrouvés dans 90% des prélèvements urinaires lors de l’étude menée par l’INSERM sur la contamination de femmes enceintes (Chevrier et al., 2009, 2011).
Un challenge à relever !
Ces recherches et études épidémiologiques et de pharmaco-vigilance doivent déboucher sur une information factuelle et indépendante et permettre de prendre des mesures de prévention.
La recherche d’alternatives aux produits phytosanitaires se développe, notamment grâce aux produits de biocontrôle. Elle doit se poursuivre et proposer des solutions qui respectent la santé des populations et l’environnement mais aussi qui soient économiquement viables pour les producteurs.
La réflexion sur l’intégration des différents leviers en protection intégrée est un enjeu majeur pour réussir à réduire l’utilisation de produits phytosanitaires conventionnels.
Liens vers d’autres billets ou sites internet :
Pesticides : effets sur la santé (2013) https://www.inserm.fr/thematiques/sante-publique/expertises-collectives
Article publié sur le site de l’Anses sur l’alimentation totale (septembre 2016) : https://www.anses.fr/fr/content/les-%c3%a9tudes-de-lalimentation-totale-eat
Etude de l’Anses sur l’alimentation totale française – résultats relatifs aux résidus de pesticides (2011) https://www.anses.fr/fr/system/files/PASER2006sa0361Ra2.pdf
Etude de l’ANSES sur l’alimentation totale infantile résultats relatifs aux résidus de pesticides (2016) https://www.anses.fr/fr/system/files/ERCA2010SA0317Ra-Tome2-Part4.pdf
Ce billet a été rédigé par Claudie MONOT, ingénieur en protection et nutrition des plantes à Vegenov.
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