Recherche appliquée et transfert de technologie : et si nous suivions (un peu) le modèle allemand ?
Dans le contexte international, l’Allemagne se singularise par l’importance particulière apportée au transfert des savoirs et des technologies. Recherche appliquée et transfert de technologie y sont organisés autour d’un puissant réseau de centres pluridisciplinaires maillant tout le territoire, les Instituts Fraunhofer.
Outre l’importance du réseau, 23 000 salariés, les Fraunhofer se caractérisent par un modèle économique et un mode de financement performants, favorisant le ressourcement scientifique et l’intensité des relations avec les entreprises.
Joseph von Fraunhofer, opticien et physicien inventeur, chercheur et entrepreneur (1787 – 1826), a donné son nom à la plus importante organisation de recherche appliquée en Europe.
La Société Fraunhofer regroupe 80 établissements dont 60 instituts répartis sur tout le territoire allemand, 6 aux Etats Unis et 5 en Europe. Le budget consolidé est de 1,93 milliards d’euros (2012), en progression constante, pour plus de 23 000 collaborateurs.
Comme pour nos centres techniques français, la carte de l’Allemagne montre une répartition équilibrée des compétences, que nous appellerons maillage, au plus près du terrain et des entreprises, plutôt que dispersion…
Recherche pour la praxis
Comparable à celle des instituts techniques en France (ITA / ITAI* , CRT** , CTI ***) la mission des Instituts Fraunhofer réside dans la recherche pour la praxis, c’est à dire débouchant sur une application concrète. Comme pour nos CRT (centres de ressources technologiques), les mots clés sont recherche technologique, projets pilotés par la demande, écoute des entreprises, itération…
Une marque forte
Chaque institut Fraunhaufer s’appuie sur la Société Fraunhofer (« Fraunhofer Gesellschaft »), qui lui apporte une marque forte, garante d’une culture d’entreprise homogène et tournée vers l’économie du pays. Reconnue par les entreprises clientes, la marque Fraunhofer est également plébiscitée par les étudiants : lors d’une enquête en 2009, Fraunhofer arrivait en deuxième position derrière Porsche, et devant Audi, BMW et Google !
Maillage territorial et organisation décentralisée
Chaque institut adapte son champ d’activité à l’économie régionale et dispose d’une grande liberté d’action, pour définir ses axes de prospection et de recherche, allouer ses ressources, gérer ses projets. L’évaluation porte sur le respect de quelques règles simples.
Les « quatre commandements »
Souplesse et autonomie, dans un cadre bien défini, telle est la philosophie des Fraunhofer. Un institut Fraunhofer se doit de respecter quatre exigences clés, qui forment le ciment de la culture d’entreprise :
- Des compétences entrepreneuriales, prouvées par le niveau des contrats avec les entreprises et les pouvoirs publics.
- L’excellence scientifique, prouvée par la reconnaissance par la communauté scientifique.
- Un modèle économique robuste, basé sur un financement équilibré entre différentes sources.
- Un travail en réseau, avec d’autres instituts Fraunhofer et des structures extérieures.
Les instituts se répartissent en 7 groupes thématiques :
- TIC
- Sciences de la vie
- Microélectronique
- Lumière et surfaces
- Production
- Matériaux
- Défense et sécurité
Il existe aussi des alliances entre Fraunhofer pour concourir ensemble à des objectifs communs. Citons par exemple « Management de la chaîne alimentaire », « Energie », « Technologies de nettoyage » etc.
Un financement innovant et performant
Dans les grandes lignes, les Fraunhofer sont financés en trois tiers :
- financement public de base
- financement public sur projets de recherche
- ressources des contrats avec les entreprises.
L’essentiel des ressources (1,61 milliards en 2012) est alloué à la recherche appliquée, le reste étant alloué à la recherche pour la défense (113 millions) et aux infrastructures (199 millions).
Financement de base : prime à la performance et ressourcement
Les modalités d’allocation du financement public de base (environ 30 % du budget total des instituts) encouragent les structures performantes, qui tirent leur épingle du jeu sur le « marché » de la recherche. Le financement est en effet accordé, a posteriori, sur la base des recettes sous contrat avec les entreprises, mais aussi dans le cadre des projets de recherche européens.
Ainsi, chaque institut Fraunhofer reçoit, cumulativement :
- Une dotation indexée sur les recettes avec les entreprises. Cette dotation est de 10 % des recettes privées quand celles-ci sont inférieures à 25 % du budget total de l’Institut, puis 40 % des recettes privées comprises entre 25 et 55 % du budget total, puis à nouveau 10 % pour la part située au dessus de 55%. Cette modalité de financement encourage à l’évidence l’intensité de la recherche appliquée au service des entreprises, chaque institut ayant en effet intérêt à maintenir un niveau de recettes privées élevé, sans toutefois excéder 55 %, ce qui lui permet de ne pas négliger ses autres missions, notamment de ressourcement.
- Une dotation proportionnelle au volume de contrats européens (15 % des recettes UE) ;
- Une dotation de 12 % de son budget total ;
- Une dotation fixe, de l’ordre de 650 K€.
Cette dotation de base permet aux Fraunhofer de se ressourcer, de développer leur recherche propre, en préparant les travaux à moyen terme avec les entreprises (à échéance 5-10 ans).
Le comité directeur (national) dispose aussi de la capacité à compléter ce financement « identique » pour tous les instituts, en fonction de projets ou investissements spécifiques, d’évènements particuliers (déménagement, plans sociaux…) ainsi que pour les coopérations internationales ou entre instituts.
Evolution des ressources contractuelles
Les ressources contractuelles, environ deux tiers du budget des instituts, sont équitablement réparties entre contrats publics et contrats privés.
La figure ci-dessous, extraite du site Internet des Instituts Fraunhofer, montre l’évolution des différentes ressources contractuelles : entreprises, revenus des licences (10-12 % des recettes contractuelles), contrats publics, financés par les Länder et le gouvernement fédéral, contrats européens (6-8 %).
Les ressources privées ont accusé une baisse en 2009 pour reprendre ensuite leur progression (+ 38 % entre 2007 et 2012). Dans le même temps, les financements régionaux et fédéraux sous contrat ont très fortement augmenté, passant de 219 M€ en 2007 à 406 M€ en 2010 (+ 85 %) avant de diminuer sensiblement en 2012.
Un modèle parfait ?
Comme tout modèle, les Instituts Fraunhofer ne sont pas exempts de défauts ni de contraintes, dont certaines sont proches de celles rencontrées dans nos centres techniques.
La multiplicité des sites entraîne nécessairement des difficultés pour homogénéiser la culture d’entreprise, mais la marque forte contribue à un fort sentiment d’appartenance et à la confiance des partenaires.
Il faut en permanence trouver le meilleur compromis entre excellence scientifique et application dans les meilleurs délais. Contrats publics et privés ne font pas appel au même état d’esprit, ni aux mêmes compétences. La culture entrepreneuriale, clé de voute des Fraunhofer, doit cohabiter avec les règles de gestion et de fonctionnement d’un organisme public.
Au final, les instituts Fraunhofer sont tout de même probablement ce qui se fait de mieux au plan international, en matière d’organisation de la recherche appliquée, au service des entreprises et du développement économique.
A nos yeux, leurs forces principales sont :
– La force de la marque, qui apporte notoriété, visibilité et reconnaissance, tant pour les entreprises que pour les partenaires publics (projets européens).
– Quelques règles simples régissant la culture de la Société Fraunhofer : compétences entrepreneuriales, excellence scientifique, gestion équilibrée et fonctionnement en réseau.
– Dans ce cadre global, les instituts disposent d’une grande autonomie de pilotage et de gestion.
– Un mode de financement robuste, 2/3 public, 1/3 privé, traduisant le fort engagement des régions et de l’Etat fédéral dans le financement du transfert de technologie en Allemagne.
Il est probable que la France, ayant fait d’autres choix, ne peut pas s’offrir une Société Fraunhofer. Toutefois, il ne serait pas inutile qu’elle s’inspire de certaines modalités d’organisation et de financement de ce modèle.
* Institut Technique Agricole / Agro-industriel, labels du Ministère de l’Agriculture
** Centre de ressources Technologiques, label du Ministère de la Recherche
*** Centre Technique Industriel
http://www.fraunhofer.de/en.html
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