En recherche agricole, ça phosphore sur le phosphore !

90% du Phosphore présent dans les sols est indisponible pour les plantes. Essentiel à l’amélioration et au maintien des rendements agricoles, les amendements en phosphore sont fréquents et parfois peu efficaces. Avec le changement des pratiques agricoles répondant aux enjeux environnementaux et législatifs, des alternatives aux amendements d’origines minérales ou organiques existent.

Un élément essentiel pour la plante, mais peu biodisponible dans les sols

Le phosphore est un élément essentiel pour les végétaux. En agriculture, il permet de maintenir et optimiser les rendements. En effet, ce macronutriment joue un rôle important dans la floraison des plantes, la production de protéines et de sucres.

Base de l’ATP (Adénosine Tri-Phosphate), le phosphore permet de fournir de l’énergie aux cellules végétales, de synthétiser des nucléotides (ARN), et de réguler un grand nombre de voies enzymatiques. Les ions monohydrogénophosphate (HPO42-) et dihydrogénophosphate (H2PO4), seules formes de phosphore assimilées par les végétaux, ne sont pas présents naturellement dans les sols.

D’après le ministère du développement durable, près de 42 % des sols arables de métropole ont des ressources en phosphore faibles alors que 35 % d’entre eux ont des teneurs qualifiées de fortes. La teneur en phosphore du sol varie grandement en fonction des régions. Malgré des taux souvent élevés, le phosphore est majoritairement indisponible pour la plante, l’agriculture actuelle a donc recours à l’application d’engrais organiques (épandage de fumier ou lisier) ou minéraux.

Des pratiques actuelles qui ont des limites

En termes d’application, avec 4kg de phosphore apporté par kg de nourriture consommé, l’Europe est loin derrière les U.S. (9kg / kg de nourriture) la Chine (13kg / kg de nourriture).

Dans le monde, les amendements de phosphore minéraux les plus répandus proviennent de mines de roche (phosphore minéral) présentes aux U.S., Chine et Maroc. Ces mines ont une durée d’exploitation limitée (50-100 ans). D’autres sources minérales sont également disponibles mais nécessitent des techniques d’extraction plus complexes, avec des tarifs de production largement supérieurs.

Qu’ils soient d’origine organique ou minéral, la plupart des amendements apportés au sol vont précipiter avec d’autres minéraux pour former des sels inorganiques et rendre le phosphore indisponible pour la plante. On estime que 75% du phosphore soluble ajouté serait rendu indisponible par ces phénomènes de précipitation.

Malgré une diminution importante des pollutions par le phosphore depuis les années 1990, date de l’application de directive sur les eaux résiduaires urbaines, l’apport de cet élément en excès sur les cultures contribue toujours à la pollution des cours d’eaux, et engendre des phénomènes d’eutrophisation. De plus, un récent rapport de l’ADEME indiquait que les engrais phosphatés constituaient plus de 50% des apports en cadmium au sol. Or, le 16 juillet 2022, doit rentrer en application le règlement européen qui harmonise les règles de mise sur le marché des fertilisants avec un focus sur la valeur limite en cadmium des engrais minéraux phosphatés.

Il est donc important de développer des alternatives afin de diminuer l’apport d’amendements directs d’origine minérale ou organique et/ou d’améliorer sa biodisponibilité pour les plantes.

Face à ce constat, des alternatives existent !

Les principaux complexes formés par le phosphore dans le sol, sont de trois sortes : CaHPO4 (sur sols calcaires), AlPO4 et FePO4 (sur sols acides). Or cet élément peut être rendu disponible pour la plante selon deux voies bien identifiées :

L’acidification : une acidification du sol permet de décomplexer les formes indisponibles de phosphore et de les rendre ainsi disponibles pour les végétaux. Les racines des plantes, les mycorhizes et certains microorganismes rhizosphériques sont capables de réguler le pH de la rhizosphère par la production d’ions H+ ou OH-/HCO3- et peuvent donc agir pour une meilleure disponibilité du phosphore.

– La sécrétion de phosphatases : ces enzymes permettent la minéralisation du phosphore organique par hydrolyse et libération de groupes phosphates plus petits. Elles sont principalement sécrétées par des micro-organismes bactériens (Phosphate Solubilizing Bacteria) ou fongiques, parmi lesquels on retrouve les genres Pseudomonas, Bacillus, ou encore Aspergillus.

Illustration des micro-organismes du sol : mycorhizien (1) et bactérien (2)

Ces 2 leviers, ainsi que la minéralisation des engrais organiques, peuvent être actionnés par la microflore naturellement présente dans les sols et/ou par l’apport de biostimulants afin d’améliorer la disponibilité du phosphore et réduire ainsi le besoin en amendement. Cette revendication « disponibilité des éléments confinés » sera mentionnée pour les biostimulants, dans le nouveau règlement européen (UE) 2019/1009 sur les matières fertilisantes et les supports de culture.


Références

BASHAN, Y., KAMNEV, A. A., & DE-BAS, L. E. (2013). TRICALCIUM PHOSPHATE IS INAPPROPRIATE AS A UNIVERSAL SELECTION FACTOR FOR ISOLATING AND TESTING PHOSPHATE-SOLUBILIZING BACTERIA THAT ENHANCE PLANT GROWTH: A PROPOSAL FOR AN ALTERNATIVE PROCEDURE. Biology and Fertility of Soils , 465-479.

PLASSARD, C., ROBIN, A., LE CADRE , E., MARSDEN , C., HERRMANN, L., WAITHAISONG , K., . . . HINSINGER , P. (2015). AMELIORER LA BIODISPONIBILITE DU PHOSPHORE : COMMENT VALORISER LES COMPETENCES DES PLANTES ET LES MECANISMES BIOLOGIQUES DU SOL ? Innovations Agronomiques, 115-138.

ROSEN , J. (2020). Farmers are facing a phosphorus crisis. The solution starts with soil. National Geographic.

SINGH, P., KUMAR, V., & AGRAW, S. (2014). EVALUATION OF PHYTASE PRODUCING BACTERIA FOR THEIR PLANT GROWTH PROMOTING ACTIVITIES. International Journal of Microbiology.

Vegenov est un CRT adossé au CTIFL. Une partie de ce travail a été soutenue financièrement par le Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt via les fonds du CASDAR.

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Root-tip mycelia of the Amanita type.CC BY 2.5

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Ce billet a été rédigé par Emilie Hascoët
Chargée de Projets en Qualité et Santé des Plantes, Émilie travaille à la recherche de solutions de stimulation et protection des plantes pour une agriculture durable.